Aux racines d’InVivo de 1945 à nos jours #
6/7
I
l faut souhaiter au livre de Sylvie Gousset et d’Arnaud Berthonnet de nombreux lecteurs
dans le monde agricole, et, surtout, au-delà, car ce qu’ils nous apprennent de ce que
peuvent faire les hommes vaut pour tous. De ce travail considérable et si richement illustré sur
l’histoire mouvementée et, pour les non-initiés, assez compliquée, des grandes unions de
coopératives agricoles, j’aimerais retenir quelques enseignements qui pourraient être utiles pour
le temps présent.
D’abord, l’efficacité de la fidélité. Car l’ouvrage le montre bien : depuis Fourier et Owen,
les principes fondateurs n’ont pas varié : une coopérative, c’est d’abord l’auto-organisation de
producteurs qui se soumettent librement à la règle démocratique la plus exigeante. Cette forme
d’association a permis de maintenir, là où elles existaient, des structures de productions
familiales et a assuré la promotion d’un type très original de “gouvernance” dans lequel les
producteurs eux-mêmes deviennent par l’élection les dirigeants, le plus souvent sages et
clairvoyants comme le montrent bien les portraits des plus connus des “Présidents”, secondés
par des collaborateurs aux fortes qualités, attirés par ces entreprises originales et humanistes.
Ce respect des individus et de la délibération collective n’a pas empêché les coopératives
de participer très activement à la modernisation de l’agriculture française au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale. Elles ont diffusé du conseil technique, mis à la disposition des
agriculteurs des semences, des engrais, des machines qui ont permis le grand bond en avant
de notre secteur agricole. En tirant, là encore, leur efficacité de leur spécificité : ce sont les
producteurs eux-mêmes qui, par le biais de leurs structures coopératives, ont décidé de leur
propre modernisation et l’ont mise en œuvre collectivement.
Avec des résultats brillants : en moins de trente ans, la France, importatrice de produits
agricoles, devient une régulière et puissante exportatrice. Les auteurs montrent bien comment
cette orientation vers le marché et le grand large fut un souci constant des dirigeants des grandes
unions qui ont su investir dans les équipements nécessaires à cette nouvelle et aventureuse
étape de la présence des producteurs sur le marché mondial. Jusqu'à la naissance d’InVivo qui
résume et affirme les rapprochements, les fusions que les uns et les autres ont su conduire
jusqu’à constituer un groupe de taille mondiale. Le chemin parcouru est impressionnant.
Cette belle histoire a été accompagnée et soutenue par les pouvoirs publics depuis les grandes
lois agricoles de la fin du XIX
e
siècle jusqu’à aujourd’hui, quelle que soit la couleur de la
combinaison politique au pouvoir. Parce que les uns et les autres considèrent, au fond, que les
coopératives agricoles, qu’elles descendent de l’avenue Mac-Mahon ou de la rue La Fayette, font
partie des “caractères originaux” de l’agriculture française et qu’elles ont, depuis longtemps,
justifié l’attention dont elles font l’objet par la part décisive qu’elles ont prise à la sauvegarde
et à la bonne santé de notre agriculture qui constitue, et pour longtemps encore, un de nos
grands intérêts nationaux.
Certes, les temps changent, et annoncent de nouvelles contraintes, de nouvelles exigences
imposées par l’évolution de nos sociétés dans le cadre de l’actuelle mondialisation, par le
réchauffement climatique, par l’attention que nos contemporains portent désormais à leur
environnement…. Mais déjà nous voyons que les grandes Unions intègrent dans leurs objectifs
et dans leurs relations avec les producteurs ces données qui vont les conduire à de nouvelles
pratiques, de nouvelles techniques, des formes inédites d’accompagnement et d’organisation…
Cette souplesse qu’illustrent les nombreux témoignages rapportés ici est, elle aussi, particulière
à la coopération, parce qu’elle est plus ouverte aux vents venus de la société que les formes
exclusivement capitalistiques qui n’entendent bien que les sommations de la Bourse ou des fonds
d’investissements.
Rester fidèle à ses origines, à ses convictions, ce n’est pas chercher à les conserver intactes et
immobiles au travers des âges, mais plutôt tenter sans cesse de les adapter aux mouvements du
temps pour qu’elles continuent à inspirer l’action des hommes d’aujourd’hui. Telle me semble
être la grande leçon de ce beau et utile livre à qui je souhaite le succès qu’il mérite.
Henri Nallet
Ancien ministre de l’Agriculture
PRÉFACE
“
Ainsi le passé commande le présent. Car il n’est
presque pas un trait de la physionomie rurale
de la France d’aujourd’hui dont l’explication
ne doive être cherchée dans une évolution dont
les racines plongent dans la nuit des temps.
”
Marc Bloch – “
Les caractères originaux de l’histoire rurale française
”.